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S’OUVRIR AU DIALOGUE : PAR NÉCESSITÉ, AVEC EXIGENCE ET POUR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE RÉCIPROQUE

Photo du rédacteur: almowafaqaalmowafaqa

Dernière mise à jour : 18 déc. 2024

Conférence du Professeur Farid El Asri à l’Institut Al Mowafaqa


Pr Farid El Asri en conférence le 15 octobre 2024 à l'Institut œcuménique de théologie al mowafaqa
Pr Farid El Asri

Pour ouvrir l’année académique 2024-2025 de manière solennelle, le 15 octobre 2024, l’Institut Œcuménique de Théologie Al Mowafaqa a eu l’honneur d’accueillir le Professeur Farid El Asri pour une conférence inaugurale qui marque l’esprit même de l’Institut, qui est un lieu de dialogue. Anthropologue, diplômé en islamologie, judaïsme, et agrégé en langue arabe (ULB), Pr El Asri est également Doyen du Collège des Sciences Sociales à l’Université Internationale de Rabat (UIR) et titulaire de la Chaire « Cultures, Sociétés et Faits Religieux ». Ami de l’Institut depuis sa création, il fait partie des professeurs qui interviennent régulièrement dans les cours sur le dialogue interreligieux.

Dès le début de sa conférence, le Pr El Asri indique que le choix du titre, un peu long, se voulait être percutant pour donner le ton : S’ouvrir au dialogue : par nécessité, avec exigence et pour une meilleure connaissance réciproque. La conférence a réuni un public nombreux et captivé, aussi bien en présentiel qu’en ligne.


L’impératif du dialogue dans notre contexte

En ouverture, Farid El Asri affirme : « Le dialogue est une nécessité. Nous sommes dans un contexte qui l’exige.  Nous n’avons pas le choix. Cela relève du bon sens. » Il ajoute que le dialogue suppose une exigence réciproque. « Dans le dialogue, il y a un risque ; ce qui est intéressant n’est pas la présence mais la transformation que le dialogue provoque. Par le dialogue, il s’agit de s’enrichir de l’altérité de l’autre. » Il suppose une connaissance réciproque des termes et des concepts mis en avant. L’un des objectifs est d’ouvrir des chantiers de réflexion commune. « La confiance est un élément fondamental, ajoute-t-il. Nous ne pouvons pas dialoguer sans une confiance réciproque. » Il cite alors en exemple le travail en commun fait avec un pasteur et un rabbin pendant plusieurs années.

Farid El Asri s’arrête alors que le contexte dans lequel nous vivons celui d’un monde en perpétuelle vitesse alors que le dialogue suppose un temps d’arrêt. Notre contexte est  aussi celui des milliers d’images qui construisent un imaginaire sur l’autre : « Nous avons davantage d’images que de connaissance concrète de l’altérité. » Le dialogue aide à fluidifier un contexte qui conduit à une certaine « glaciation » des situations et des positions : « L’impératif du dialogue fluidifie le contexte. L’altérité me sert à prendre du recul. » A l’inverse, le refus du dialogue accélère un repli identitaire.

Il invite à revisiter les contextes historiques passés, en interrogeant, entre autres, le « Mythe andalou » (711-1492) et les traces laissées dans les consciences musulmanes par des événements marquants comme la chute de Tolède et celle de Jérusalem sous domination musulmane.

Le risque, aujourd’hui, serait un dialogue en apesanteur, hors contexte. Pour Farid El Asri «  le dialogue est d’utilité publique » . Il nous faut partir des questions des gens et proposer des orientations : « A nous de revoir notre feuille de route, de revoir l’impératif du dialogue. Le dialogue doit être pragmatique. Il fait bouger les lignes. »


Ne pas confondre les niveaux du dialogue

Farid El Asri propose alors de distinguer les différents niveaux du dialogue. « Il y a le dialogue de la convivialité qui permet de ne pas confondre le voisin avec l’écran de la télévision. Le dialogue n’est pas la convivialité, ajoute-t-il, mais la convivialité est une condition pour le dialogue. » Le dialogue se joue aussi dans des plateformes de coopération, locales, régionales, nationales qui ont leur agenda.

N’oublions pas le dialogue théologique qui consiste à comprendre les référentiels, à faire attention au comparatisme et plutôt à rentrer dans la profondeur des textes. Cela suppose un cadre méthodologique et une propédeutique pour entrer en profondeur dans ce type de dialogue. Il nous faut réfléchir à la finalité des différents dialogues. Les intellectuels peuvent avoir un rôle à jouer pour distiller au grand public ce qu’ils découvrent ensemble.

L’orateur a insisté sur l’idée qu’il ne s’agit pas uniquement de discuter entre soi, mais d’oser aller vers l’autre, malgré les barrières visibles ou invisibles qui pourraient s’ériger. Trop souvent, ceux qui prônent le dialogue se retrouvent dans une certaine solitude, entendue, mais peu suivie. « On te dit parfois gentiment : heureusement que tu es là, au moins, toi, tu dialogues. Et là, on se retrouve dans une solitude immense », a exprimé le professeur qui témoigne que cette perception est présente chez plusieurs protagonistes du dialogue. Pourtant le dialogue en lui-même n’est pas un phénomène isolé, car « Nous dormons sur un patrimoine méconnu » a-t-il dit en invitant à un travail de mémoire pour retrouver et transmettre les expériences de rencontres interculturelles.

 

« Nous dormons sur un patrimoine méconnu »

« Dis-moi par quel héritage de dialogue tu viens vers moi ? » Le patrimoine historique du dialogue interreligieux doit être réhabilité. Cela fait partie des points forts sur lesquels Pr El Asri a insisté. Trop souvent, la mémoire collective déforme ou oublie les riches interactions qui ont marqué les siècles passés au profit de récits plus contemporains de séparations ou de conflits. L’expérience personnelle et collective, portée par des mémoires longues peut nourrir le dialogue aujourd’hui. Il faudrait rappeler, par exemple, la naissance du Parlement des religions à Chicago en 1893, rappeler comment le dialogue judéo-chrétien a trouvé un nouvel essor aux lendemains de la seconde guerre mondiale. L’orateur se demande alors pourquoi des dialogues sont nés après des époques de traumatismes. Et là, l’attitude des dialoguants est fondamentale : dialoguer avec culpabilité ou dialoguer avec une curiosité pour l’autre ne conduit pas aux mêmes orientations. Il n’y a pas une seule modalité de dialogue, le dialogue est toujours en contexte.

Un vrai travail mémoriel est à ouvrir, car « nous dormons sur un patrimoine méconnu. »  Comment le transmettre au plus grand nombre ? Pour toucher un public plus large, le professeur propose des solutions innovantes, comme l’usage de moyens artistiques pour vulgariser cette mémoire collective. La bande dessinée, le cinéma, les podcasts ou encore les documentaires sont autant d’outils modernes qui pourraient aider à rendre accessible ce patrimoine trop souvent cantonné à des travaux érudits. « Composer un travail patrimonial en sept volumes, c’est bien, mais il ne sera lu que par ceux qui sont déjà concernés », a-t-il observé.


Ne pas confondre théologie et sociologie : clarifier les concepts

Tout au long de son intervention, le Professeur Farid El Asri pointe du doigt la confusion souvent courante qui est faite entre théologie et sociologie. Il rappelle que les textes religieux sont denses, complexes, et parfois ambigus. Dans une société où même les évidences ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être, il est fondamental de clarifier les mots et les concepts, surtout les plus sensibles. « Quand tu dis Dieu, l’Humain, qu’est-ce que cela signifie vraiment ? » a-t-il questionné. Il invite ainsi chacun à réfléchir à la charge conceptuelle et doctrinale qui accompagne les termes utilisés dans le dialogue.

Prenant exemple sur l’anthropologie coranique, il montre à quel point la définition de l’Humain dans le Coran diffère de celle d’autres traditions. Cette divergence influe sur des pratiques fondamentales, comme la prière chez les musulmans. Il est donc important d’avoir une bonne compréhension de ces concepts afin d’être sur la même longueur d’onde et d’éviter des malentendus durables : « Si on prend un mauvais départ, le malentendu se répercute beaucoup plus loin et on atteint une limite où on ne peut plus dialoguer. »


Le défi de l’altérité : reconnaître et respecter la dignité de l’autre

Pour le Pr El Asri, il est important de reconnaître la dignité inhérente à tout être humain. Dans la tradition musulmane, comme dans d’autres traditions monothéistes, chaque individu porte en lui une part du souffle divin qui le rend digne de respect et d’égard. Ainsi le racisme est par exemple une pratique en contradiction avec ces principes. Il a rappelé l’importance d’un hadith coranique bien connu : « Celui qui sauve une personne, c’est comme s’il avait sauvé toute l’humanité ». Mais il interroge sur l’usage de ce hadith, suivant les circonstances et les contextes. Ce respect de l’altérité, bien qu’inscrit dans les textes religieux, est souvent mal compris ou mal appliqué.

Il y a nécessité de s’interroger en permanence sur les bases de notre compréhension des autres traditions, en particulier dans le cadre de la  « chari’a » qui structure la vie religieuse dans les différentes confessions abrahamiques. Ainsi, selon lui, le terme de « religion » lui-même peut être source de confusion. Le terme « din », traduit par religion, renvoie davantage à la notion de voie qu’à la notion de « religare », a-t-il expliqué, insistant sur le fait que les voies empruntées par les croyants sont diverses, mais toujours orientées vers une légitimité fondamentale commune.


Un dialogue exigeant, mais nécessaire.

Le Professeur El Asri conclut en appelant à un dialogue exigeant qui ne reste pas à la surface, mais  ose poser les questions difficiles. Il  invite l’auditoire à reconnaître les zones d’inconfort dans leurs propres croyances et pratiques. Un des moments marquants de son intervention a été lorsqu’il a donné l’exemple d’un acteur religieux qui, confronté à une question délicate sur la tension entre des référentiels théologiques et les droits de l’Homme contemporains, a eu l’honnêteté de dire : « Je n’ai pas de réponse à cela. Cela me met mal à l’aise, mais je continue à y réfléchir. » Pour le Pr El Asri, cet aveu de vulnérabilité est l’un des plus beaux cadeaux qu’on puisse faire dans le dialogue : reconnaître que l’on ne sait pas tout et que certaines questions restent sans réponse.

Il insiste sur l’importance d’un retour aux sources, pour que chaque acteur du dialogue soit conscient des principes sur lesquels il se fonde et des éléments non négociables dans sa tradition. C’est seulement à partir de cette honnêteté intellectuelle et spirituelle que le dialogue interreligieux peut véritablement progresser.


Un public engagé, en présentiel et en ligne

Cette conférence de haute tenue a suscité un grand intérêt, attirant une cinquantaine de personnes en présentiel à l’Institut Al Mowafaqa. Par ailleurs, environ 70 connexions en ligne ont été enregistrées, dont plusieurs provenaient de communautés connectées collectivement, portant à près d’une centaine le nombre total de participants en ligne. Cette forte participation témoigne de l’importance du sujet et de l’engagement des différents acteurs religieux et culturels dans la recherche de voies de dialogue authentiques et constructives.

Le Pr Farid El Asri, par son approche, a su captiver et inspirer son auditoire, ouvrant la voie à des échanges riches et prometteurs pour l’avenir du dialogue interreligieux.

 





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